2012-01-25, 10:50 PM
(Suite et FIN)
Les Collines du Belvédère, Lure 1 Quarte 1504 CS, 2ème heure
La nuit était bien avancée.
Depuis longtemps, les familles qui pique-niquaient sur les pelouses impeccablement taillées par les jardimecs, les couples qui se bécotaient sur les bancs à suspenseurs, les groupes d'amis et promeneurs qui déambulaient dans les jardins publics des Collines du Belvédère avaient regagné leurs pénates. Même les noctambules retournant chez eux d'un pas moins assuré qu'au début de la soirée avaient déserté les rues.
Une ombre se tenait sous l'un des acer lothlorien, ou érables de galadriel, à l'orée du petit bois au pied de l'éminence où s'élevait la villa. Une silhouette humaine, enveloppée dans une longue cape de voyage. Un chèche de couleur sombre dissimulait ses cheveux et la partie inférieure de son visage, ne laissant apparents que les yeux bleu glacier. Des yeux qui regardaient fixement l'édifice en surplomb. L'Être baissa le foulard qui lui couvrait la bouche, y cala une coûteuse cigarette et l'alluma avec un antique briquet à essence non moins coûteux. Il souffla un nuage de fumée bleutée et resta ainsi plusieurs minutes, silhouette immobile couverte d'étoffes au luxe discret, expirant un mélange de tabac et de spores microscopiques qui se diluèrent dans l'air.
La douce brise du soir poussa la fumée le long de la pente, jusqu'aux abords de la villa. Les filtres atmosphériques l'aspirèrent, l'analysèrent. [Inoffensif], décida le système de climatisation. Les spores se diffusèrent dans toute l'habitation, flottèrent dans les chambres individuelles, entrèrent dans les narines et les bouches ouvertes, se déposèrent sur les lèvres de la cyborg endormie. Le sommeil des occupants de la villa se fit alors plus profond, et leurs songes dérivèrent tous vers un astéroïde creux perdu entre l'Alliance des Douze Soleils et la République du Cygne.
Il s'appelait Oban de la Fiertayade. Il était étendu dans une ruelle de Port des Ombres, la sphère habitable qui abritait l'astroport de Tortuga. Il était en train de mourir.
Ils l'avaient retrouvé. Il avait à peine entrevu son bourreau, à peine senti l'aiguille projetée par le pistofroid. Il était tombé tout de suite à la renverse, avait senti son système neuromusculaire se paralyser avec une rapidité foudroyante. Le régène militaire implanté à tout officier de la Division Guet n'y pouvait rien. Il ne sentait quasiment plus la douleur lancinante qui lui avait déchiré la poitrine. Les sons s'estompaient, son champ de vision se réduisait, tandis que ses poumons et son coeur s'arrêtaient de fonctionner. C'était la fin.
Il aurait fallu des instruments de mesure d'une grande subtilité pour comprendre ce qui se passa dans les secondes qui suivirent. Une sorte de nuée de particules à peine visibles à l'oeil nu, furtives comme des grains de poussières dans une flaque de lumière, recouvrit son corps à l'agonie, y pénétra par les pores de sa peau qui se refroidissait déjà. Les tremblements réflexes qui agitaient ses membres s'arrêtèrent presque tout de suite. Quelques longues minutes s'écoulèrent dans la plus parfaite immobilité.
Dans l'esprit du moribond, ces minutes durèrent une éternité.
L'éternité qui s'était écoulée depuis que les K'r'lls, après avoir vaincu leur propre création lors de la dernière guerre de leur longue Histoire, avaient décidé d'abandonner leur ancienne forme physique pour évoluer vers autre chose. Sur les myriades de mondes qu'ils avaient colonisés à travers la Voie Lactée, ils avaient projeté leur conscience dans des formes de vie élémentaires, des colonies d'organismes unicellulaires résistants. Ils avaient commencé à former un réseau neural dispersé, une conscience collective qui s'étendait sur des milliers d'années-lumière. Ils avaient opté pour une existence essentiellement contemplative, mais ils étaient aussi devenus des sortes de jardiniers de la Galaxie. Ils se répandaient de système planétaire en système planétaire par l'intermédiaire de comètes interstellaires vagabondes, ensemençant certains mondes, colonisant des organismes indigènes au niveau cellulaire sur certains autres, faisant naître la vie ici, altérant subtilement l'évolution d'espèces existantes ailleurs, favorisant partout la diversité. Avec la naissance de la civilisation galactique et de ses navires qui trichaient avec la lumière, leur sphère d'influence s'était étendue plus vite et plus loin.
Le réveil et le retour des raol'K'r attira leur attention, les mit en alerte, produisant une accélération de leurs processus neuraux. Il leur fallait un émissaire. Il leur fallait une enveloppe, un Être avec lequel partager leur conscience, fusionner ses souvenirs dans leur vaste mémoire collective, lui apporter leurs connaissances ainsi que quelques dons au-delà des capacités naturelles de son espèce, susceptibles de l'aider à accomplir sa mission. Ils l'avaient déjà fait par le passé et ils le firent une nouvelle fois.
Dans une ruelle sordide de Port aux Ombres, Jilm Baser se redressa. Il s'ébroua, se mit debout avec hésitation, prit une longue inspiration. Fit quelques pas. Il était vivant. Il avait l'envie irrésistible de fumer une cigarette de gwuss marinae, de vider une bouteille de Citadelle Kashik millésimé, et de passer un moment avec une courtisane... ou deux. Il comprit que ce n'était pas lui-même qui avait envie de toutes ses choses, mais Eux, qui avaient abandonné leurs corps depuis des temps immémoriaux, et qui retrouvaient soudainement par son intermédiaire les instincts qu'ils avaient délaissé.
Ensuite... Ensuite il faudrait se mettre à la recherche d'un navire indépendant, se rendre à Sima pour récupérer l'Arme, puis acheminer celle-ci jusqu'à Charybde...
Le nommé Jilm Baser savait, pour avoir sondé la mémoire partagée à laquelle il avait à présent accès, que dans leur longue expansion à travers la Galaxie, les K'r'lls avaient découvert que d'autres espèces, encore plus anciennes, les avaient précédé sur le long chemin de l'évolution, qu'ils n'étaient pas les seuls à s'être affranchis de leurs formes physiques devenues inutiles. Ils avaient perçu une présence bienveillante à maintes reprises, dans le chant radio-électrique de certaines géantes gazeuses, dans les déluges d'énergie soufflés par des supernovae, dans les énigmatiques battements de coeur de lointains pulsars. Ces Premiers Nés avaient attendu pendant des éons d'être rejoints sur leur nouveau plan d'existence, et ils attendraient encore, avec la patience des étoiles, que de jeunes civilisations mûrissent et suivent l'exemple des K'r'lls.
Jilm Baser avait également découvert dans la mémoire partagée qu'il existait cinq Êtres qui dix mille ans plus tôt, sur une petite planète provinciale nommée Notre Sainte Mère la Terre par certains impériaux, avaient fusionné avec la conscience des K'r'lls. Entre la chute d'un empire décadent et l'avénement d'un autre, au temps des rois barbares, ils avaient consommé ce qu'ils appelaient dans leurs croyances primitives un elixir de longévité qui les avait maintenu en vie jusqu'à aujourd'hui. Il était comme eux à présent, un tout petit plus qu'un humain, un Observateur. Il fallait qu'il retrouve ses semblables.
La silhouette encapuchonnée jeta sa cigarette, remit en place son chèche, tourna les talons et disparut dans la nuit. Dans la villa silencieuse, quatre hommes et une jeune femme se réveillèrent en sursaut, et le bien étrange rêve synchronisé qu'ils venaient de faire s'effilocha comme une brume légère dans leurs esprits encore engourdis par le sommeil.
La suite sera là...
Les Collines du Belvédère, Lure 1 Quarte 1504 CS, 2ème heure
La nuit était bien avancée.
Depuis longtemps, les familles qui pique-niquaient sur les pelouses impeccablement taillées par les jardimecs, les couples qui se bécotaient sur les bancs à suspenseurs, les groupes d'amis et promeneurs qui déambulaient dans les jardins publics des Collines du Belvédère avaient regagné leurs pénates. Même les noctambules retournant chez eux d'un pas moins assuré qu'au début de la soirée avaient déserté les rues.
Une ombre se tenait sous l'un des acer lothlorien, ou érables de galadriel, à l'orée du petit bois au pied de l'éminence où s'élevait la villa. Une silhouette humaine, enveloppée dans une longue cape de voyage. Un chèche de couleur sombre dissimulait ses cheveux et la partie inférieure de son visage, ne laissant apparents que les yeux bleu glacier. Des yeux qui regardaient fixement l'édifice en surplomb. L'Être baissa le foulard qui lui couvrait la bouche, y cala une coûteuse cigarette et l'alluma avec un antique briquet à essence non moins coûteux. Il souffla un nuage de fumée bleutée et resta ainsi plusieurs minutes, silhouette immobile couverte d'étoffes au luxe discret, expirant un mélange de tabac et de spores microscopiques qui se diluèrent dans l'air.
La douce brise du soir poussa la fumée le long de la pente, jusqu'aux abords de la villa. Les filtres atmosphériques l'aspirèrent, l'analysèrent. [Inoffensif], décida le système de climatisation. Les spores se diffusèrent dans toute l'habitation, flottèrent dans les chambres individuelles, entrèrent dans les narines et les bouches ouvertes, se déposèrent sur les lèvres de la cyborg endormie. Le sommeil des occupants de la villa se fit alors plus profond, et leurs songes dérivèrent tous vers un astéroïde creux perdu entre l'Alliance des Douze Soleils et la République du Cygne.
Il s'appelait Oban de la Fiertayade. Il était étendu dans une ruelle de Port des Ombres, la sphère habitable qui abritait l'astroport de Tortuga. Il était en train de mourir.
Ils l'avaient retrouvé. Il avait à peine entrevu son bourreau, à peine senti l'aiguille projetée par le pistofroid. Il était tombé tout de suite à la renverse, avait senti son système neuromusculaire se paralyser avec une rapidité foudroyante. Le régène militaire implanté à tout officier de la Division Guet n'y pouvait rien. Il ne sentait quasiment plus la douleur lancinante qui lui avait déchiré la poitrine. Les sons s'estompaient, son champ de vision se réduisait, tandis que ses poumons et son coeur s'arrêtaient de fonctionner. C'était la fin.
Il aurait fallu des instruments de mesure d'une grande subtilité pour comprendre ce qui se passa dans les secondes qui suivirent. Une sorte de nuée de particules à peine visibles à l'oeil nu, furtives comme des grains de poussières dans une flaque de lumière, recouvrit son corps à l'agonie, y pénétra par les pores de sa peau qui se refroidissait déjà. Les tremblements réflexes qui agitaient ses membres s'arrêtèrent presque tout de suite. Quelques longues minutes s'écoulèrent dans la plus parfaite immobilité.
Dans l'esprit du moribond, ces minutes durèrent une éternité.
L'éternité qui s'était écoulée depuis que les K'r'lls, après avoir vaincu leur propre création lors de la dernière guerre de leur longue Histoire, avaient décidé d'abandonner leur ancienne forme physique pour évoluer vers autre chose. Sur les myriades de mondes qu'ils avaient colonisés à travers la Voie Lactée, ils avaient projeté leur conscience dans des formes de vie élémentaires, des colonies d'organismes unicellulaires résistants. Ils avaient commencé à former un réseau neural dispersé, une conscience collective qui s'étendait sur des milliers d'années-lumière. Ils avaient opté pour une existence essentiellement contemplative, mais ils étaient aussi devenus des sortes de jardiniers de la Galaxie. Ils se répandaient de système planétaire en système planétaire par l'intermédiaire de comètes interstellaires vagabondes, ensemençant certains mondes, colonisant des organismes indigènes au niveau cellulaire sur certains autres, faisant naître la vie ici, altérant subtilement l'évolution d'espèces existantes ailleurs, favorisant partout la diversité. Avec la naissance de la civilisation galactique et de ses navires qui trichaient avec la lumière, leur sphère d'influence s'était étendue plus vite et plus loin.
Le réveil et le retour des raol'K'r attira leur attention, les mit en alerte, produisant une accélération de leurs processus neuraux. Il leur fallait un émissaire. Il leur fallait une enveloppe, un Être avec lequel partager leur conscience, fusionner ses souvenirs dans leur vaste mémoire collective, lui apporter leurs connaissances ainsi que quelques dons au-delà des capacités naturelles de son espèce, susceptibles de l'aider à accomplir sa mission. Ils l'avaient déjà fait par le passé et ils le firent une nouvelle fois.
Dans une ruelle sordide de Port aux Ombres, Jilm Baser se redressa. Il s'ébroua, se mit debout avec hésitation, prit une longue inspiration. Fit quelques pas. Il était vivant. Il avait l'envie irrésistible de fumer une cigarette de gwuss marinae, de vider une bouteille de Citadelle Kashik millésimé, et de passer un moment avec une courtisane... ou deux. Il comprit que ce n'était pas lui-même qui avait envie de toutes ses choses, mais Eux, qui avaient abandonné leurs corps depuis des temps immémoriaux, et qui retrouvaient soudainement par son intermédiaire les instincts qu'ils avaient délaissé.
Ensuite... Ensuite il faudrait se mettre à la recherche d'un navire indépendant, se rendre à Sima pour récupérer l'Arme, puis acheminer celle-ci jusqu'à Charybde...
Le nommé Jilm Baser savait, pour avoir sondé la mémoire partagée à laquelle il avait à présent accès, que dans leur longue expansion à travers la Galaxie, les K'r'lls avaient découvert que d'autres espèces, encore plus anciennes, les avaient précédé sur le long chemin de l'évolution, qu'ils n'étaient pas les seuls à s'être affranchis de leurs formes physiques devenues inutiles. Ils avaient perçu une présence bienveillante à maintes reprises, dans le chant radio-électrique de certaines géantes gazeuses, dans les déluges d'énergie soufflés par des supernovae, dans les énigmatiques battements de coeur de lointains pulsars. Ces Premiers Nés avaient attendu pendant des éons d'être rejoints sur leur nouveau plan d'existence, et ils attendraient encore, avec la patience des étoiles, que de jeunes civilisations mûrissent et suivent l'exemple des K'r'lls.
Jilm Baser avait également découvert dans la mémoire partagée qu'il existait cinq Êtres qui dix mille ans plus tôt, sur une petite planète provinciale nommée Notre Sainte Mère la Terre par certains impériaux, avaient fusionné avec la conscience des K'r'lls. Entre la chute d'un empire décadent et l'avénement d'un autre, au temps des rois barbares, ils avaient consommé ce qu'ils appelaient dans leurs croyances primitives un elixir de longévité qui les avait maintenu en vie jusqu'à aujourd'hui. Il était comme eux à présent, un tout petit plus qu'un humain, un Observateur. Il fallait qu'il retrouve ses semblables.
La silhouette encapuchonnée jeta sa cigarette, remit en place son chèche, tourna les talons et disparut dans la nuit. Dans la villa silencieuse, quatre hommes et une jeune femme se réveillèrent en sursaut, et le bien étrange rêve synchronisé qu'ils venaient de faire s'effilocha comme une brume légère dans leurs esprits encore engourdis par le sommeil.
La suite sera là...
"Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie."
(Troisième Loi de l'Architecte Clarke)
(Troisième Loi de l'Architecte Clarke)