2010-09-14, 08:56 PM
[Ainsi fut fait]
Madame Chalmak prit connaissance du plan de visite préparé par monsieur Khrys Edelman. C’était un bon itinéraire, comme on va en juger.
Ils quittèrent le restaurant et allèrent chercher leur bulle en sous-sol. Pendant ce temps, sans un mot, la navyborg demanda et obtint les autorisations nécessaires. En moins de dix minutes, ils étaient en l’air.
Bygred avait ceci en commun avec les mondes peu peuplés que dès que l’on s’éloignait d’une agglomération, on ne voyait que très peu d’artéfacts (au sens « artifact »). Construction, signes de civilisation ou simplement de présence d’Etres disparaissaient. C’était… le désert.
Mais ici, la signification de ce mot vous sautait à la figure. La ville nommée Rempart était construite dans un cratère météorique ancien, très érodé mais qui avait permis la classique opération de « chapeautage en couvercle » par un dôme assisté par un champ de force. En approchant des limites de ce « couvercle », afin d’en passer un des innombrables sas à vitesse réduite, ils dominaient déjà une plaine en contrebas, immense, balayée de vent et sillonnée d’innombrables tourbillons de poussière rouge : du sable arraché au sol et transporté sur des hectomètres avant que de se redéposer. Les vents de convection thermiques se voyaient à l’œil nu, sans l’aide de prothèses. C’était une vraie bouilloire. « Notre commandant va se régaler » dit-elle.
Leur bulle prit de la vitesse et de l’altitude. C’était une belle « six places » très confortable. Elle se pilotait au plot, la pilote avait donc escamoté toutes les commandes manuelles. Quand on y pensait, le spectacle de cet ovoïde transparent époustouflant de modernisme transportant des gens vêtus de façons si dissemblables avait un côté cocasse. Cela dit, tel était le quotidien des mondes galactiques ouverts à l’extérieur.
Le salon volant atteignit la première étape en moins de vingt minutes. Sur n’importe quel autre monde, on aurait nommé cela « les falaises du diable », « les murs du destin », « les voix des damnés » ou autre qualificatif dramatique ou pompeux, si ce n’était les deux. Les Bygryans les appelaient simplement : « les falaises ». C’était le seul endroit situé à moins de mille kilomètres de Rempart qui ne se visitait pas qu'au lever ou au coucher de Redwone, parce que le vent tombait à ces moments-là.
Madame Chalmak suivit scrupuleusement les instructions reçues et se posa dans un abri rocheux que l’on aurait dit naturel mais qui en fait avait été soigneusement pensé. « Mettez vos masques ». La verrière disparut et la chaleur leur tomba dessus comme… C’était indescriptible. Il faisait 70° Celsius et cela monterait encore dans l’après midi. L’atmosphère raréfiée, loin de modérer le phénomène, le rendait exquis. Mais ils étaient les citoyens d’un univers qui savait composer avec ces désagréments.
Ils descendirent de la bulle, monsieur Baser tendant élégamment la main à sa pilote, qui muselait sa raison afin que de ne point tomber de son petit nuage. Ils montèrent en marchant une sorte de sentier à peine tracé, et qui d’ailleurs s’effaça très vite. Un de ces petits tourbillons de vent sablonneux les entoura brièvement, fit voler les plis des vêtements et s’éloigna vers la plaine rouge. Il n’avait pas apporté la moindre fraicheur.
Ils étaient seuls.
Ils arrivèrent sur une éminence d’où les Falaises apparurent dans toute leur splendeur. Elles formaient un rempart crénelé, en dent de scie, que l’on aurait cru artificiel. Mais c’était bien la nature qui avait monté ces murs qui fermaient le désert. Les plus basses des falaises s’élevaient à quatre-cent mètre, les plus hautes à huit-cent cinquante. C’étaient des masses de granits recelant de riches veines d’ilménite, de tantalite et de marbonite, une pierre rose possédant la texture et la beauté du marbre. On aurait dit une forteresse interdisant à quiconque d’aller au-delà. C’est pourtant ce qu’ils feraient pour aller aux petites mares.
Ils regrettèrent que le soleil ne fut pas plus bas, afin que sa lumière n’écrasât pas les perspectives. D’ailleurs, les touristes faisaient généralement deux visites en ce lieu.
Les quatre Etres marchèrent jusqu’à un endroit discrètement balisé, où le phénomène ne manquerait pas de se produire ; et de fait ils n’eurent pas à attendre. Une sombre plainte s’éleva, glaçante. On aurait dit la voix unique mais multiple d’un million de damnés prenant conscience de leur terrible destin. C’était poignant.
../... (à suivre)
Madame Chalmak prit connaissance du plan de visite préparé par monsieur Khrys Edelman. C’était un bon itinéraire, comme on va en juger.
Ils quittèrent le restaurant et allèrent chercher leur bulle en sous-sol. Pendant ce temps, sans un mot, la navyborg demanda et obtint les autorisations nécessaires. En moins de dix minutes, ils étaient en l’air.
Bygred avait ceci en commun avec les mondes peu peuplés que dès que l’on s’éloignait d’une agglomération, on ne voyait que très peu d’artéfacts (au sens « artifact »). Construction, signes de civilisation ou simplement de présence d’Etres disparaissaient. C’était… le désert.
Mais ici, la signification de ce mot vous sautait à la figure. La ville nommée Rempart était construite dans un cratère météorique ancien, très érodé mais qui avait permis la classique opération de « chapeautage en couvercle » par un dôme assisté par un champ de force. En approchant des limites de ce « couvercle », afin d’en passer un des innombrables sas à vitesse réduite, ils dominaient déjà une plaine en contrebas, immense, balayée de vent et sillonnée d’innombrables tourbillons de poussière rouge : du sable arraché au sol et transporté sur des hectomètres avant que de se redéposer. Les vents de convection thermiques se voyaient à l’œil nu, sans l’aide de prothèses. C’était une vraie bouilloire. « Notre commandant va se régaler » dit-elle.
Leur bulle prit de la vitesse et de l’altitude. C’était une belle « six places » très confortable. Elle se pilotait au plot, la pilote avait donc escamoté toutes les commandes manuelles. Quand on y pensait, le spectacle de cet ovoïde transparent époustouflant de modernisme transportant des gens vêtus de façons si dissemblables avait un côté cocasse. Cela dit, tel était le quotidien des mondes galactiques ouverts à l’extérieur.
Le salon volant atteignit la première étape en moins de vingt minutes. Sur n’importe quel autre monde, on aurait nommé cela « les falaises du diable », « les murs du destin », « les voix des damnés » ou autre qualificatif dramatique ou pompeux, si ce n’était les deux. Les Bygryans les appelaient simplement : « les falaises ». C’était le seul endroit situé à moins de mille kilomètres de Rempart qui ne se visitait pas qu'au lever ou au coucher de Redwone, parce que le vent tombait à ces moments-là.
Madame Chalmak suivit scrupuleusement les instructions reçues et se posa dans un abri rocheux que l’on aurait dit naturel mais qui en fait avait été soigneusement pensé. « Mettez vos masques ». La verrière disparut et la chaleur leur tomba dessus comme… C’était indescriptible. Il faisait 70° Celsius et cela monterait encore dans l’après midi. L’atmosphère raréfiée, loin de modérer le phénomène, le rendait exquis. Mais ils étaient les citoyens d’un univers qui savait composer avec ces désagréments.
Ils descendirent de la bulle, monsieur Baser tendant élégamment la main à sa pilote, qui muselait sa raison afin que de ne point tomber de son petit nuage. Ils montèrent en marchant une sorte de sentier à peine tracé, et qui d’ailleurs s’effaça très vite. Un de ces petits tourbillons de vent sablonneux les entoura brièvement, fit voler les plis des vêtements et s’éloigna vers la plaine rouge. Il n’avait pas apporté la moindre fraicheur.
Ils étaient seuls.
Ils arrivèrent sur une éminence d’où les Falaises apparurent dans toute leur splendeur. Elles formaient un rempart crénelé, en dent de scie, que l’on aurait cru artificiel. Mais c’était bien la nature qui avait monté ces murs qui fermaient le désert. Les plus basses des falaises s’élevaient à quatre-cent mètre, les plus hautes à huit-cent cinquante. C’étaient des masses de granits recelant de riches veines d’ilménite, de tantalite et de marbonite, une pierre rose possédant la texture et la beauté du marbre. On aurait dit une forteresse interdisant à quiconque d’aller au-delà. C’est pourtant ce qu’ils feraient pour aller aux petites mares.
Ils regrettèrent que le soleil ne fut pas plus bas, afin que sa lumière n’écrasât pas les perspectives. D’ailleurs, les touristes faisaient généralement deux visites en ce lieu.
Les quatre Etres marchèrent jusqu’à un endroit discrètement balisé, où le phénomène ne manquerait pas de se produire ; et de fait ils n’eurent pas à attendre. Une sombre plainte s’éleva, glaçante. On aurait dit la voix unique mais multiple d’un million de damnés prenant conscience de leur terrible destin. C’était poignant.
../... (à suivre)