2013-05-26, 07:06 PM
[Quelques semaines plus tôt]
Si Sémirande était partie si vite après l’atterrissage de la Lilith, c’est qu’il y avait de bonnes raisons. La première était qu’elle avait hâte d’échapper à l’atmosphère délétère qui régnait à bord du Classe I (atmosphère qu’elle avait soigneusement entretenue d’ailleurs). Mais ce n’était pas la plus importante.
On a vu qu’elle n’avait en tout que deux semaines de disponibles : 14 petits jours. Et elle tenait absolument à aller à Vonda. Pour effectuer quelques changements. Pour rencontrer sa famille. Pour voir sa fille surtout, surtout.
Lors de l’approche de Viala, dès que son « talkie » fut à portée (ce qui la dispensait d’utiliser les ressources de la Lilith dont elle se méfiait), elle avait passé une série de messages à sa Guilde, à la Confrérie des Corsaires, au contrôle de vol d’Amarzèle-port, ainsi qu’aux quelques amis qu’elle avait maintenant sur place. Ce fut l’un de ces derniers qui lui trouva l’oiseau rare. « Je tiens à te signaler que c’est une poubelle » la prévint-il. Bon. Va pour le camion-benne à ordures. « Le monsieur est pressé… » avait ajouté son correspondant.
Elle avait donc filé à la Guilde Navyborg, où elle avait rendez-vous avec un certain capitaine Doppelgänger. commandant un Tabron dont le nom en Galactique signifiait « Fier à Bras ». « Est-ce voulu ? » se demanda-t-elle ?
Espérant que l’homme ne soit pas à l’image du nom du navire, elle entra dans les locaux de la Guilde. Il n’était pas là. Elle attendit donc un peu. Un moment. Longtemps. Elle se décida à appeler le type, qui était au « Gentilhomme de Fortune » visiblement fin saoul.
Elle regarda les vols réguliers. Rien d’intéressant avant deux jours au moins, et avec escale en plus. Zut zut zut. Bon. Elle reprit un taxi et fila vers l’estaminet.
Il y en a qui ont de la chance, et d’autres qui n’en ont pas. Sémi n’en eut pas. La grande brêle aux bras cyber était là, qui l’interpella à sa façon habituelle, un rien de méchanceté en plus vu qu’aucun mâle n’accompagnait la jeune femme. Sémirande, qui avait pris la décision de ne plus se laisser emmerder par personne, lui tint à peu près ce langage : « Ecoute grosse vache. Je passe, et tu fais pas caguer. Colle une de tes sales pattes sur moi et c’est la boule de plasma. Maintenant du balai. ». Tout est dans l’intonation. L’autre commença par un « Viens pas te plaindre si.. » que Sémi interrompit d’un classique « Ta gueule ! ». Elle entra.
L’ambiance n’avait pas changé, aussi ne perdit-elle pas de temps en considérations sociologiques à deux crédits. Se dirigeant vers le bar, elle avisa le cyborg qui les avait servi il y avait déjà longtemps. « Doppelgänger ? » demanda-t-elle. L’autre, plus physionomiste ou moins impassible que la Walkyrie d’occase, plissa les paupières, l’ayant surement reconnue. Mais il se borna d’indiquer un coin sombre du menton.
Sombre et malodorant. Et la réponse était à priori « oui ». Le type pouvait être qualifié du nom de son vaisseau. C’était un Géant à l’air mauvais, vêtu d’une combinaison de vol renforcée. Il tenait à peine debout, impuissant face à quelques tourmenteurs ravis de pouvoir emmerder quelqu’un à peu de risques. Une fois de plus, Sémirande ne s’embarrassa pas de manières. Un des loubards, un E.T. poilu, trapu, dont les déplacements étaient curieusement élégants et qui lui tournait le dos, prit un coup de pied retourné et s’étala pour le compte (et sans doute un peu plus). Oui, c’est lâche.
Bon, elle n’avait pas fait cela tout à fait au hasard. Cela n’avait pas du tout l’air d’une bande organisée - dans ce dernier cas, elle s’y serait prise autrement. Là, il fallait en prendre un et frapper fort ; cela avait de fortes chances de calmer les autres, et c’est bien ce qui se passa. Pas un des « copains » de la créature à terre ne fit le moindre geste pour lui venir en aide.
Bien. Aux choses sérieuses maintenant. Se tournant vers son… Hem… « futur commandant » (qui n’avait pas encore l’air d’avoir réalisé ce qui venait de se passer), elle lui dit tout en rectifiant la position : « Pilote Chalmak, monsieur. A vos ordres ».
10 minutes plus tard.
Sémirande remercia bien le cyber serveur qui l’avait aidé à monter le pochetron dans un taxi. « Pourquoi ne pas demander un corps cyborg un peu meilleur que le vôtre ? » lui dit-elle en le quittant « Ici, avec toutes leurs caisses de solidarité, leurs fonds d’assistance, leurs mécènes, ce serait bien le diable si vous ne trouviez pas de quoi vous équiper mieux que cela. Et votre donzelle aussi d’ailleurs. ».
Le type regarda partir le taxi. Se demandait-il si c’était du lard ou du cochon ? Ou bien méditait-il sur les propos de la petite bonne femme ?
Sémirande, elle, n’était pas fâchée de quitter cette bande de minables. Eussent-ils subis cette situation dans un monde des Agrippines aurait suscité sa compassion. Mais ici, dans l’Alliance, cela trahissait un je m’en foutisme ou un masochisme assez carabiné. Ou les deux. Sémi n’aimait ni les uns, ni les autres. Puis elle dut faire face à divers problèmes de refoulement de liquides alcoolisé durant un vol qui lui sembla bien trop long.
Le « Fier à Bras » était une épave sphéro-patatoïde aussi âgée qu’un membre de la chambre des pairs. Un patin d’atterrissage était sorti tribord avant, ce qui devait signifier que l’antigrav situé à cet endroit avait rendu l’âme. Un ou plusieurs d’ailleurs. Une échelle de coupée sortait du ventre rapiécé de l’engin, au bas de laquelle une forme humanoïde était assise : une femme à première vue.
Le taxi s’approcha au ras de l’escalier amovible et s’ouvrit complètement afin de déposer le géant semi comateux au plus près, à l’aide de bras manipulateurs souples fort efficaces. « Désirez-vous que j’appelle de l’aide ? » proposa la machine semi-intelligente à Sémirande. « Non, merci bien. Rentrez bien » répondit curieusement cette dernière. Le taxi remercia à son tour et repris son vol.
Sémi était donc au pied – stricto sensu - d’un astronef délabré dont le commandant était saoul à ses pieds et dont le seul membre d’équipage visible, du moins supposait-on que c’en était un - ne s’était même pas fendue d’un regard dans leur direction. C’était une grande femme maigre, au teint blafard, au visage maigre. Elle était vêtue d’une robe longue sans ornement aucun. Elle fumait et à ses pieds de nombreux mégots et paquets vides formait un début de dépôt d’immondices. Un petit logimec attentait cependant, sa benne remplie à ras bord. « Bonjour ! » hasarda Sémi. L’autre lui jeta un lent regard, puis détourna la tête, reprenant sa contemplation du vide.
Oui, Sémi faillit tourner les talons et aller prendre un billet sur une ligne régulière. Au lieu de cela, elle se pencha sur le logimec, qui n’était nullement protégé, et consulta ses instructions. « Reste là et ramasse les mégots ». D’accord. Ce truc n’avait carrément pas de semi-intelligence. Elle rectifia cela et la machine partit vider sa benne.
Un bruit se fit entendre. Un type descendait la coupée. Un petit humain trapu, à l’allure de gnome et vêtu pareillement. Etait-il aussi fort que son commandant ? Hummm. On pouvait en discuter. « C’est vous le nouveau pilote ? Eèèèh ! » dit-il avec un sourire mi-figue mi-raisin. « J’mappelle Moutch. Moutch tout court. Elle, c’est not’pilote, la femme du capitaine en même temps. Elle a tiré les rideaux. ». C’était imagé et assez juste.
Sémi fit la connaissance du dernier des membres de l’équipage quand celui-ci descendit les aider à transporter la masse inerte à l’intérieur, sans bousculer celle qui fumait. Surtout sans la bousculer.
Le nouveau venu humain, lui aussi, ne déparait pas l’équipage. Immensément grand, aussi noir que la fille était blanche, et maigre comme un coucou. Il flottait dans une combinaison de vol trop grande pour lui. Sémi n’osa demander à ce fier équipage s’il ne disposait pas, par hasard, d’un logimec de manutention. A vrai dire, elle connaissait la réponse.
« Lui c’est Kamir » dit Moutch quand le géant fut installé sur une couchette de quart. « Kamir le Vitau. Il est mécano avec moi. ». Ledit Kamir s’en fut sans un simple salut, vraisemblablement vers la salle des machines. Moutch le regarda partir avec un haussement d’épaules. « L’est pas causant hein ? C’est pas comme moi. On doit aller chercher d’la marchandise et l’amner sur Vonda. C’est simple, hein ? Ava peut pu piloter. On doit livrer vite, alors le chef il a cherché quelqu’un vite aussi. ».
« Quelle est…. C’est quoi la cargaison ? » demanda Sémi dans son plus mauvais Univerlang.
« Sais pas. C’est pas très gros et tout honnête, c’est tout cque j’sais. Mais j’sais y aller, hein ? » termina-t-il, anticipant la question suivante.
Sémi comprit qu’ici, les règles de bienséance de la Guilde ne devaient être qu’un lointain souvenir. Elle prit son unique sac et se rendit sans qu’on l’y ait invitée sur la – hum – passerelle. C’était une pièce oblongue, totalement aveugle, et encombrée comme le bazar d’Ellypse. Il y avait de tout. Des piles de bouquins NT2, de la ferraille et des pièces électroniques comme on n’en faisait plus, de vieux logimecs hors d’usage, mais aussi des restes de nourriture, des canettes de boissons que l’on n’avait pas pris la peine de comprimer et de recycler… Et ÇA !!!
Une petite créature serpentiforme mais munie de pattes préhensiles, aux multiples yeux (elle en avait même au bout de la « queue »), à l’air robuste était sortie de derrière une caisse plastique en état de désagrégation avancée, pour y re-rentrer précipitamment dès qu’elle avait aperçu les deux humains. Quoique… elle avait laissé sa « queue » dépasser et devait se servir de l’œil qui y était posé pour observer. Curieuse, Sémi modifia sa vision, trouva la température de l’animal et chercha un peu. Argl. Il y en avait bien deux dizaines qui se cachaient là. Combien ailleurs ? Et depuis combien de temps ? Bouffaient-ils les câbles ? La coque ?
Bon. Un demi-analphabète. Un autiste. Une catatonique. Un poivrot. Une cargaison dont on ne savait pas ce qu’elle était. Un vaisseau ressemblant à une poubelle … euh, pardon : qui en était une, et infestée de parasites de surcroit. Il n’y avait qu’une chose à faire : décoller. Parce qu’il n’y avait pas de vol régulier avant deux jours et qu’elle n’avait pas le choix.
Le fauteuil de pilotage était un vieux truc en simili cuir, à moitié bouffé par une moisissure sèche, peu abondante mais apparemment très efficace. Il n’y avait pas de récepteur microcom pour correspondra avec son plot vertébral, ou alors il était en panne. Elle tira donc un des jacks de pilotage, l’examina, en tira un autre, puis le troisième. Reprenant le deuxième, elle le plugua derrière sa tête, lança une série de tests, et le déconnecta avec une moue dépitée. Elle eût toutes les peines à bloquer le câble en position « sortie ». Quand ce fut fait, elle ouvrit sa prothèse réparation et refit les connexions. Un nouvel essai de branchement fut plus satisfaisant.
C’est à ce moment-là qu’elle prit conscience que Moutch la regardait. Il avait perdu toute sa verve, se contentant de la fixer d’un air attentif. C’était limite gênant, mais Sémi décida de ne pas se formaliser. D’ailleurs en avait-elle les moyens ? Elle décida de rester professionnelle, tant que faire se pouvait. « Allez à votre poste, officier. Nous allons démarrer la check list, puis vous me direz où aller. Ah, rentrez la dame qui fume pied de la passerelle s’il vous plait. ».
Moutch la regarda une seconde, puis s’en fut. Sémi se pluga de nouveau au vaisseau et fit une tentative de connexion. Ses pare feux passèrent immédiatement au rouge. Les systèmes informatiques du « Fier à Bras » étaient pourris de virus au sens large. Deux d’entre eux avaient tenté de s’emparer d’elle. Fort heureusement, ses systèmes étaient un petit peu trop compliqués pour les programmes malicieux qui pouvaient se contenter des pauvres systèmes du vaisseau. Sémirande se connecta sur une banque de données commerciale où elle acheta de ses propres deniers un pack de nettoyage. En dix minutes le ménage était fait et elle put commencer sa Check-list. Elle dura longtemps, parce que ce navire était fait de bric et de brocs, qu’il était impossible de faire certaines vérifications en une fois, parce que les pannes mineures étaient nombreuses, et surtout que les possibilités du système informatique étaient limitées. Tellement limitées que…
« Curiosity killed the cat » dit le proverbe. Sémirande ignorait ce qu’était un « cat », mais elle se doutait bien que l’idée loufoque qui lui était venue d’un coup pourrait lui coûter cher. Ses craintes furent vaines cependant : son esprit en cours de formation put prendre en main le réseau de « Fier à Bras » et gagner ainsi une bonne heure.
Le plein de carburant n’avait pas été fait : il manquait 1000 kilos pour que le réservoir soit complet. Sémirande s’en était occupée dès le début de la check List. Elle avait tapé dans le fond d’avitaillement du vaisseau. Une fois les frais portuaires payés, il ne leur resta pratiquement plus un rond ; 1753 crédits pour être précis.
« Plan de vol déposé, plein fait, taxes payées, silo nettoyé, état de l’équipage aussi bon que possible ; c’est-à-dire pas très frais » soliloqua-t-elle. « Bon, y’a plus qu’à… ».
Elle demanda et obtint l’autorisation de décoller. On a vu que 3 antigravs sur quatre fonctionnaient. Malheureusement, sur ce vieux vaisseau, les antigravs de parking étaient les mêmes que ceux de manœuvre. Cela voulait dire que le décollage serait folklo. Il le fut. Sémi était loin d’être une déesse en conduite NT5 et une vraie bille en conduite NT6. Aussi prit-ele toutes les précautions possibles. Elle décolla sur « trois pattes » sans quitter le silo, pour voir. Le « Fier à Bras » s’inclina de 30° puis se stabilisa. Sémi prit un peu d’altitude puis sortit du silo. Il volait de travers pour compenser le déséquilibre, mais ça allait encore. Elle monta vers le ciel quand le contrôle de vol appela. Le vaisseau n’était donc pas réparé ? Le capitaine Doppelgänger avait pourtant promis que ce serait fait etc. Sémirande déclina son identité et promis qu’ils partaient pour un chantier privé situé sur la route de Vonda. « Vous devez savoir ce que vous faites, madame Chalmak » répondit-on. On ne les embêta pas plus.
Toujours de traviole, le vaisseau Varlet monta vers le ciel, sortit de l’atmosphère et entra dans le Triche-Lumière.
(A suivre)
Si Sémirande était partie si vite après l’atterrissage de la Lilith, c’est qu’il y avait de bonnes raisons. La première était qu’elle avait hâte d’échapper à l’atmosphère délétère qui régnait à bord du Classe I (atmosphère qu’elle avait soigneusement entretenue d’ailleurs). Mais ce n’était pas la plus importante.
On a vu qu’elle n’avait en tout que deux semaines de disponibles : 14 petits jours. Et elle tenait absolument à aller à Vonda. Pour effectuer quelques changements. Pour rencontrer sa famille. Pour voir sa fille surtout, surtout.
Lors de l’approche de Viala, dès que son « talkie » fut à portée (ce qui la dispensait d’utiliser les ressources de la Lilith dont elle se méfiait), elle avait passé une série de messages à sa Guilde, à la Confrérie des Corsaires, au contrôle de vol d’Amarzèle-port, ainsi qu’aux quelques amis qu’elle avait maintenant sur place. Ce fut l’un de ces derniers qui lui trouva l’oiseau rare. « Je tiens à te signaler que c’est une poubelle » la prévint-il. Bon. Va pour le camion-benne à ordures. « Le monsieur est pressé… » avait ajouté son correspondant.
Elle avait donc filé à la Guilde Navyborg, où elle avait rendez-vous avec un certain capitaine Doppelgänger. commandant un Tabron dont le nom en Galactique signifiait « Fier à Bras ». « Est-ce voulu ? » se demanda-t-elle ?
Espérant que l’homme ne soit pas à l’image du nom du navire, elle entra dans les locaux de la Guilde. Il n’était pas là. Elle attendit donc un peu. Un moment. Longtemps. Elle se décida à appeler le type, qui était au « Gentilhomme de Fortune » visiblement fin saoul.
Elle regarda les vols réguliers. Rien d’intéressant avant deux jours au moins, et avec escale en plus. Zut zut zut. Bon. Elle reprit un taxi et fila vers l’estaminet.
Il y en a qui ont de la chance, et d’autres qui n’en ont pas. Sémi n’en eut pas. La grande brêle aux bras cyber était là, qui l’interpella à sa façon habituelle, un rien de méchanceté en plus vu qu’aucun mâle n’accompagnait la jeune femme. Sémirande, qui avait pris la décision de ne plus se laisser emmerder par personne, lui tint à peu près ce langage : « Ecoute grosse vache. Je passe, et tu fais pas caguer. Colle une de tes sales pattes sur moi et c’est la boule de plasma. Maintenant du balai. ». Tout est dans l’intonation. L’autre commença par un « Viens pas te plaindre si.. » que Sémi interrompit d’un classique « Ta gueule ! ». Elle entra.
L’ambiance n’avait pas changé, aussi ne perdit-elle pas de temps en considérations sociologiques à deux crédits. Se dirigeant vers le bar, elle avisa le cyborg qui les avait servi il y avait déjà longtemps. « Doppelgänger ? » demanda-t-elle. L’autre, plus physionomiste ou moins impassible que la Walkyrie d’occase, plissa les paupières, l’ayant surement reconnue. Mais il se borna d’indiquer un coin sombre du menton.
Sombre et malodorant. Et la réponse était à priori « oui ». Le type pouvait être qualifié du nom de son vaisseau. C’était un Géant à l’air mauvais, vêtu d’une combinaison de vol renforcée. Il tenait à peine debout, impuissant face à quelques tourmenteurs ravis de pouvoir emmerder quelqu’un à peu de risques. Une fois de plus, Sémirande ne s’embarrassa pas de manières. Un des loubards, un E.T. poilu, trapu, dont les déplacements étaient curieusement élégants et qui lui tournait le dos, prit un coup de pied retourné et s’étala pour le compte (et sans doute un peu plus). Oui, c’est lâche.
Bon, elle n’avait pas fait cela tout à fait au hasard. Cela n’avait pas du tout l’air d’une bande organisée - dans ce dernier cas, elle s’y serait prise autrement. Là, il fallait en prendre un et frapper fort ; cela avait de fortes chances de calmer les autres, et c’est bien ce qui se passa. Pas un des « copains » de la créature à terre ne fit le moindre geste pour lui venir en aide.
Bien. Aux choses sérieuses maintenant. Se tournant vers son… Hem… « futur commandant » (qui n’avait pas encore l’air d’avoir réalisé ce qui venait de se passer), elle lui dit tout en rectifiant la position : « Pilote Chalmak, monsieur. A vos ordres ».
10 minutes plus tard.
Sémirande remercia bien le cyber serveur qui l’avait aidé à monter le pochetron dans un taxi. « Pourquoi ne pas demander un corps cyborg un peu meilleur que le vôtre ? » lui dit-elle en le quittant « Ici, avec toutes leurs caisses de solidarité, leurs fonds d’assistance, leurs mécènes, ce serait bien le diable si vous ne trouviez pas de quoi vous équiper mieux que cela. Et votre donzelle aussi d’ailleurs. ».
Le type regarda partir le taxi. Se demandait-il si c’était du lard ou du cochon ? Ou bien méditait-il sur les propos de la petite bonne femme ?
Sémirande, elle, n’était pas fâchée de quitter cette bande de minables. Eussent-ils subis cette situation dans un monde des Agrippines aurait suscité sa compassion. Mais ici, dans l’Alliance, cela trahissait un je m’en foutisme ou un masochisme assez carabiné. Ou les deux. Sémi n’aimait ni les uns, ni les autres. Puis elle dut faire face à divers problèmes de refoulement de liquides alcoolisé durant un vol qui lui sembla bien trop long.
Le « Fier à Bras » était une épave sphéro-patatoïde aussi âgée qu’un membre de la chambre des pairs. Un patin d’atterrissage était sorti tribord avant, ce qui devait signifier que l’antigrav situé à cet endroit avait rendu l’âme. Un ou plusieurs d’ailleurs. Une échelle de coupée sortait du ventre rapiécé de l’engin, au bas de laquelle une forme humanoïde était assise : une femme à première vue.
Le taxi s’approcha au ras de l’escalier amovible et s’ouvrit complètement afin de déposer le géant semi comateux au plus près, à l’aide de bras manipulateurs souples fort efficaces. « Désirez-vous que j’appelle de l’aide ? » proposa la machine semi-intelligente à Sémirande. « Non, merci bien. Rentrez bien » répondit curieusement cette dernière. Le taxi remercia à son tour et repris son vol.
Sémi était donc au pied – stricto sensu - d’un astronef délabré dont le commandant était saoul à ses pieds et dont le seul membre d’équipage visible, du moins supposait-on que c’en était un - ne s’était même pas fendue d’un regard dans leur direction. C’était une grande femme maigre, au teint blafard, au visage maigre. Elle était vêtue d’une robe longue sans ornement aucun. Elle fumait et à ses pieds de nombreux mégots et paquets vides formait un début de dépôt d’immondices. Un petit logimec attentait cependant, sa benne remplie à ras bord. « Bonjour ! » hasarda Sémi. L’autre lui jeta un lent regard, puis détourna la tête, reprenant sa contemplation du vide.
Oui, Sémi faillit tourner les talons et aller prendre un billet sur une ligne régulière. Au lieu de cela, elle se pencha sur le logimec, qui n’était nullement protégé, et consulta ses instructions. « Reste là et ramasse les mégots ». D’accord. Ce truc n’avait carrément pas de semi-intelligence. Elle rectifia cela et la machine partit vider sa benne.
Un bruit se fit entendre. Un type descendait la coupée. Un petit humain trapu, à l’allure de gnome et vêtu pareillement. Etait-il aussi fort que son commandant ? Hummm. On pouvait en discuter. « C’est vous le nouveau pilote ? Eèèèh ! » dit-il avec un sourire mi-figue mi-raisin. « J’mappelle Moutch. Moutch tout court. Elle, c’est not’pilote, la femme du capitaine en même temps. Elle a tiré les rideaux. ». C’était imagé et assez juste.
Sémi fit la connaissance du dernier des membres de l’équipage quand celui-ci descendit les aider à transporter la masse inerte à l’intérieur, sans bousculer celle qui fumait. Surtout sans la bousculer.
Le nouveau venu humain, lui aussi, ne déparait pas l’équipage. Immensément grand, aussi noir que la fille était blanche, et maigre comme un coucou. Il flottait dans une combinaison de vol trop grande pour lui. Sémi n’osa demander à ce fier équipage s’il ne disposait pas, par hasard, d’un logimec de manutention. A vrai dire, elle connaissait la réponse.
« Lui c’est Kamir » dit Moutch quand le géant fut installé sur une couchette de quart. « Kamir le Vitau. Il est mécano avec moi. ». Ledit Kamir s’en fut sans un simple salut, vraisemblablement vers la salle des machines. Moutch le regarda partir avec un haussement d’épaules. « L’est pas causant hein ? C’est pas comme moi. On doit aller chercher d’la marchandise et l’amner sur Vonda. C’est simple, hein ? Ava peut pu piloter. On doit livrer vite, alors le chef il a cherché quelqu’un vite aussi. ».
« Quelle est…. C’est quoi la cargaison ? » demanda Sémi dans son plus mauvais Univerlang.
« Sais pas. C’est pas très gros et tout honnête, c’est tout cque j’sais. Mais j’sais y aller, hein ? » termina-t-il, anticipant la question suivante.
Sémi comprit qu’ici, les règles de bienséance de la Guilde ne devaient être qu’un lointain souvenir. Elle prit son unique sac et se rendit sans qu’on l’y ait invitée sur la – hum – passerelle. C’était une pièce oblongue, totalement aveugle, et encombrée comme le bazar d’Ellypse. Il y avait de tout. Des piles de bouquins NT2, de la ferraille et des pièces électroniques comme on n’en faisait plus, de vieux logimecs hors d’usage, mais aussi des restes de nourriture, des canettes de boissons que l’on n’avait pas pris la peine de comprimer et de recycler… Et ÇA !!!
Une petite créature serpentiforme mais munie de pattes préhensiles, aux multiples yeux (elle en avait même au bout de la « queue »), à l’air robuste était sortie de derrière une caisse plastique en état de désagrégation avancée, pour y re-rentrer précipitamment dès qu’elle avait aperçu les deux humains. Quoique… elle avait laissé sa « queue » dépasser et devait se servir de l’œil qui y était posé pour observer. Curieuse, Sémi modifia sa vision, trouva la température de l’animal et chercha un peu. Argl. Il y en avait bien deux dizaines qui se cachaient là. Combien ailleurs ? Et depuis combien de temps ? Bouffaient-ils les câbles ? La coque ?
Bon. Un demi-analphabète. Un autiste. Une catatonique. Un poivrot. Une cargaison dont on ne savait pas ce qu’elle était. Un vaisseau ressemblant à une poubelle … euh, pardon : qui en était une, et infestée de parasites de surcroit. Il n’y avait qu’une chose à faire : décoller. Parce qu’il n’y avait pas de vol régulier avant deux jours et qu’elle n’avait pas le choix.
Le fauteuil de pilotage était un vieux truc en simili cuir, à moitié bouffé par une moisissure sèche, peu abondante mais apparemment très efficace. Il n’y avait pas de récepteur microcom pour correspondra avec son plot vertébral, ou alors il était en panne. Elle tira donc un des jacks de pilotage, l’examina, en tira un autre, puis le troisième. Reprenant le deuxième, elle le plugua derrière sa tête, lança une série de tests, et le déconnecta avec une moue dépitée. Elle eût toutes les peines à bloquer le câble en position « sortie ». Quand ce fut fait, elle ouvrit sa prothèse réparation et refit les connexions. Un nouvel essai de branchement fut plus satisfaisant.
C’est à ce moment-là qu’elle prit conscience que Moutch la regardait. Il avait perdu toute sa verve, se contentant de la fixer d’un air attentif. C’était limite gênant, mais Sémi décida de ne pas se formaliser. D’ailleurs en avait-elle les moyens ? Elle décida de rester professionnelle, tant que faire se pouvait. « Allez à votre poste, officier. Nous allons démarrer la check list, puis vous me direz où aller. Ah, rentrez la dame qui fume pied de la passerelle s’il vous plait. ».
Moutch la regarda une seconde, puis s’en fut. Sémi se pluga de nouveau au vaisseau et fit une tentative de connexion. Ses pare feux passèrent immédiatement au rouge. Les systèmes informatiques du « Fier à Bras » étaient pourris de virus au sens large. Deux d’entre eux avaient tenté de s’emparer d’elle. Fort heureusement, ses systèmes étaient un petit peu trop compliqués pour les programmes malicieux qui pouvaient se contenter des pauvres systèmes du vaisseau. Sémirande se connecta sur une banque de données commerciale où elle acheta de ses propres deniers un pack de nettoyage. En dix minutes le ménage était fait et elle put commencer sa Check-list. Elle dura longtemps, parce que ce navire était fait de bric et de brocs, qu’il était impossible de faire certaines vérifications en une fois, parce que les pannes mineures étaient nombreuses, et surtout que les possibilités du système informatique étaient limitées. Tellement limitées que…
« Curiosity killed the cat » dit le proverbe. Sémirande ignorait ce qu’était un « cat », mais elle se doutait bien que l’idée loufoque qui lui était venue d’un coup pourrait lui coûter cher. Ses craintes furent vaines cependant : son esprit en cours de formation put prendre en main le réseau de « Fier à Bras » et gagner ainsi une bonne heure.
Le plein de carburant n’avait pas été fait : il manquait 1000 kilos pour que le réservoir soit complet. Sémirande s’en était occupée dès le début de la check List. Elle avait tapé dans le fond d’avitaillement du vaisseau. Une fois les frais portuaires payés, il ne leur resta pratiquement plus un rond ; 1753 crédits pour être précis.
« Plan de vol déposé, plein fait, taxes payées, silo nettoyé, état de l’équipage aussi bon que possible ; c’est-à-dire pas très frais » soliloqua-t-elle. « Bon, y’a plus qu’à… ».
Elle demanda et obtint l’autorisation de décoller. On a vu que 3 antigravs sur quatre fonctionnaient. Malheureusement, sur ce vieux vaisseau, les antigravs de parking étaient les mêmes que ceux de manœuvre. Cela voulait dire que le décollage serait folklo. Il le fut. Sémi était loin d’être une déesse en conduite NT5 et une vraie bille en conduite NT6. Aussi prit-ele toutes les précautions possibles. Elle décolla sur « trois pattes » sans quitter le silo, pour voir. Le « Fier à Bras » s’inclina de 30° puis se stabilisa. Sémi prit un peu d’altitude puis sortit du silo. Il volait de travers pour compenser le déséquilibre, mais ça allait encore. Elle monta vers le ciel quand le contrôle de vol appela. Le vaisseau n’était donc pas réparé ? Le capitaine Doppelgänger avait pourtant promis que ce serait fait etc. Sémirande déclina son identité et promis qu’ils partaient pour un chantier privé situé sur la route de Vonda. « Vous devez savoir ce que vous faites, madame Chalmak » répondit-on. On ne les embêta pas plus.
Toujours de traviole, le vaisseau Varlet monta vers le ciel, sortit de l’atmosphère et entra dans le Triche-Lumière.
(A suivre)