Au coeur des ténèbres ...

[Manchu, le Fu]

Mayaul assista Le Fu pendant toute la durée de vol en espace normal, regardant comment pilotait son collègue de la Guilde, le corrigeant et apprenant certains de ses trucs, Mayaul revivait des évènements passés, lorsqu'il était un convoyeur fiable, solide et droit avant de basculer... il prenait goût à l'évocation de ces souvenirs, en outre l'Enseigne avait l'air bien torturé lui aussi, derrière les protocoles de vols spatiaux, sous la maitrise se dissimulaient le stress et l'inquiétude... un peu comme pour Jack lui-même.

Manchu Le Fu ressentait de l'empathie pour le nouvel arrivant dans l'équipage. Ce Jack Mayaul avait apparemment lui aussi traversé des moments difficiles et Manchu percevait cette souffrance.

Après le retour dans le Triche-Lumière, de nouveau plongé dans la noire solitude, le pilote-en-second ne put s'empêcher de repenser aux tragiques événements qui avaient fait chanceler puis sombrer son existence.
Natif d'une Orbitale, prédestiné à devenir un pilote TL hors pair, un as des as, il avait échoué aux examens de la Guilde car atteint d'une grave maladie. Réparé grâce à la cybernétique (à l'image de Mayaul), il s'était réorienté vers les tâches moins valorisantes (à ses yeux) de mécanaute. Son plus jeune frère, le préféré de sa famille communautaire, l'avait même rejoint dans cette formation. Ce compagnon chéri lui avait redonné le goût de se surpasser. Jusqu'au drame ... Ce terrible entraînement qui avait mal tourné ... La puissance enivrante des formecs de combat ... Le duel fratricide ...
Impossible de chasser ce traumatisme de sa mémoire. Jours et nuits, il était hanté par la tentation du suicide.

Le vide quasi-absolu du TL (et ce malgré une psychoperception qui s'étendait à des dizaines d'EAL alentour) n'aidait en rien Manchu à chasser ces sombres pensées de sa tête mi-organique mi-électronique. Il en venait à s'impatienter, à désirer être au coeur de l'action, face aux monstrueux ennemis qui allaient peut-être lui offrir la mort qu'il espérait depuis si longtemps.
Mais d'un autre côté, il avait retrouvé des compagnons. Impossible de souhaiter leur disparition ...
Quel déchirement !

Allez, un peu de musique pour "se remonter le moral" (par commande mentale à l'ordinateur de bord): celle du barde protohistorique Kurt Cobain.
Lorsque les notes assourdissantes de Nirvana et la voix reconstituée de son chanteur emplirent la passerelle, Manchu Le Fu plongea son regard vitreux dans la noirceur soufrée de l'infini. S'il survivait encore une fois, il s'offrirait sans doute une bouteille de ouisky et une homéopute sur le monde Moebius. Mais en aurait-il encore le goût ?